Les organismes en culture scientifique : à la recherche de l’argent perdu


Les organismes en culture scientifique : à la recherche de l’argent perdu

Le mercredi 19 juin 2013

L'argent, le nerf de la guerre. Les organismes en culture scientifique reçoivent en grande partie des subventions gouvernementales, mais à quel prix?

«Les organismes en culture scientifique devraient avoir de moins en moins besoin du gouvernement comme source de financement. Mais il doit continuer à faire sa part!»

- Roland Grand’Maison, directeur général du Conseil de développement du loisir scientifique (CDLS)

Comme ses collègues œuvrant au sein de petites organisations, Josée Nadia Drouin, directrice de l’Agence Science-Presse (ASP), doit se rabattre sur les programmes d’aide financière les plus populaires (voir l’encadré) et par conséquent, les plus difficiles à décrocher.

«Une démarche qui peut s’avérer dès le départ peu motivante», confie-t-elle. D’autant que ces organismes préfèrent commanditer un projet original nécessitant de nouvelles ressources humaines, plutôt que les activités de fonctionnement.

Dans le contexte actuel, d’excellents projets meurent avec la fin du financement. «Il faut sans cesse user d'ingéniosité pour développer des nouveaux projets ou des phases d'un projet existant en essayant de maintenir les projets actuels», mentionne Nathalie Piedmont, directrice générale du Groupe d'éducation et d'écosurveillance de l'eau (G3E).

Pour sa part, l’Acfas tire ses revenus de deux sources majeures. D’une part, le congrès annuel, qui génère presque tous ses revenus autonomes et d’autre part, le programme NovaScience du MESRST qui lui procure l’essentiel de son financement gouvernemental.

Selon son Plan d’action 2009 – 2014, cette concentration des sources de revenus comporte certains avantages, notamment parce qu’elle permet à l’Acfas «de ne pas consacrer trop d’efforts à des activités de sollicitation... Elle entraîne par ailleurs des risques spécifiques dont il faut tenir compte dans la planification financière». En conséquence, l’Association vise un effort soutenu de diversification de ses revenus.

Nicola Potvin, directeur des projets stratégiques de la Boîte à science est d’accord : «on ne peut pas compter que sur les gouvernements pour survivre, il faut absolument diversifier l'offre de service afin de compléter le maillage financier». Toutefois, bien qu’elles ne représentent que le quart du financement de l’organisation de Québec,. «Les subventions demeurent le nerf de la guerre!», ajoute-t-il.

À Science pour tous, les subventions gouvernementales représentent 70% du budget. «C’est beaucoup, mais malgré bien des efforts et ce, au fil des ans, nous ne réussissons pas à percer dans ce milieu très fermé du financement ou de la commandite», affirme Jacques Kirouac, directeur général de l’organisme, qui a fait le tour des ordres professionnels.

La récente coupe de 10 % au programme NovaScience oblige le CDLS à «penser autrement». Heureusement, il n’y a pas eu de coupure de personnel. «Si la coupe avait été plus grande, disons 50%, nous n’aurions conservé qu’ExpoScience, car c’est là que l’on retrouve les commandites, qui représentent un tiers de notre budget.», confie monsieur Grand’Maison.

«La coupe de 10 % de notre budget de fonctionnement pour la prochaine année nous oblige également à aller voir ailleurs: se tourner vers le milieu privé et l'événementiel, offrir plus de services aux enseignants ou corporatifs, comme des camps d’été par exemple». Bref, «diversifier notre portefeuille de services», résume Monsieur Potvin.

«À l’heure actuelle, les projets sont portés par des passionnés qui ont la volonté de s’investir», ajoute Binh An Vu Van, la présidente de l’ACS. Mais contrairement à la majorité des organismes du milieu, l’association n’a pas de «chercheur en financement professionnel». Un DG s’avère nécessaire.

La Bourse Fernand-Seguin obtient une bonne part de son financement hors des subventions gouvernementales. «C’est un projet qui rayonne, qui attire les gens. On doit même refuser certains partenaires potentiels afin de conserver notre intégrité», confie Madame Vu Van. 

La direction de la Boîte à science  souhaite aussi devenir autosuffisante en matière de financement. Mais comme de nombreux partenaires (Musée de la civilisation, commissions scolaires, universités, etc.) ont aussi vu leurs subventions coupées, «il sera certainement  plus difficile d’obtenir du financement de leur part», souligne Monsieur Potvin. 

Bien que les subventions représentent moins de 20 % de son budget, «sans les subventions fédérales, il n'y aurait pratiquement pas d'industrie du magazine au Canada», affirme Félix Maltais, éditeur des Publications BLD (Les Débrouillards, Les Explorateurs). «Même chose, en ajoutant les subventions du Québec, pour les industries québécoises du livre, du cinéma, de la télévision, de la musique, etc.».

Toujours dans le monde de l’édition, le gouvernement du Québec réclame depuis l'an dernier une somme annuelle comme contribution à la collecte sélective. «Cette "nouvelle taxe" n'a pas aidé à améliorer notre situation financière» estime Pierre Sormany, directeur général des Éditions Vélo Québec, qui gère le magazine Québec Science.

Comment ne pas crouler sous les tâches? 

Chaque demande d’aide financière, octroyée sous forme de commandite ou de subvention, exige plusieurs heures de travail de réflexion, de rédaction, de révision et de suivi. «Nous voulons nous démarquer par rapport aux autres, que nous devons considérer comme concurrents», précise Monsieur Kirouac. 

Avant même de remplir ces formulaires, il importe d’identifier les programmes d’aide à solliciter, vérifier si l’organisme est admissible, noter les périodes et les formats d’acceptation des demandes, etc.

Chaque étape exige un suivi serré tout au long de l’année. Un suivi quasi impossible à assurer pour la directrice de l’ASP, déjà submergée par les tâches quotidiennes: édition, planification, coordination et suivi des projets… «quand je ne suis tout simplement pas occupée à changer les ampoules brûlées!», ajoute-elle. 

Cette année, Madame Drouin a délégué à une proche collaboratrice de l’Agence la tâche de rédiger un devis en réponse à un appel d’offres de services. «Une décision salutaire», s’exclame-t-elle.

À la Boîte à science, en plus de solliciter l'appui de partenaires corporatifs, ce sont 3 ou 4 employés qui sont mis à contribution afin de compléter les demandes de subventions: concepteur, rédacteur, ressources externes, partenaires privés. Monsieur Grand’Maison abonde dans le même sens, «Les coordonnateurs connaissent mieux les projets que moi!» 

Dépôt de bilan 

L’époque est révolue où les bailleurs de fonds donnaient du financement sans suivi, ni reddition de compte. Désormais, ils accompagnent.

Pour Madame Vu Van, ce changement est stimulant. «Il nous incite à faire le maximum avec l’argent de nos membres. Et cela est utile quand on approche des partenaires», explique-t-elle. 

Les bilans demandés sont toutefois fréquents et fastidieux à remplir. Bien que consciente qu’une reddition de compte est absolument nécessaire, «celle-ci ne tient pas compte de la réalité de nos petites organisations», estime Madame Drouin. «Cette reddition pourrait être simplifiée.», croit-elle.

Les organismes majeurs doivent en plus participer à plusieurs rencontres par année. «En gros, tout compris, on peut investir un bon 2 ½ semaines/homme (ou semaines/femme)», estime Monsieur Maltais, et de confirmer Monsieur Sormany. «À cela, il faudrait ajouter la proportion de mon temps consacrée à ces dossiers, soit environ 1 semaine/année», ajoute ce dernier.

Cette année, ces organismes ont aussi eu droit à deux formations, la première sur la gouvernance (3 rencontres) et la deuxième sur le marketing (3 à 4 rencontres). «Avec des "devoirs" à faire chaque fois», précise Madame Drouin.

Chaque organisme essaie de se dégoter une pointe de la tarte « commanditaire », dont la taille ne cesse de diminuer avec les années. Quelles sont les pistes de solutions? À suivre dans le prochain article...



Encadré: Principales sources de financement gouvernementales

Au Québec, la source de subvention la plus populaire est le programme NovaScience du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST). En 2012-2013, 16 organismes ont reçu une aide financière du volet Soutien aux organismes. Le nombre d’organismes subventionnés au cours des dernières années est demeuré stable. Les aides financières consenties aux 9 organismes régionaux allaient de 122 810$ à 142 830$. Celles aux 7 organismes nationaux variaient entre 140 960 $ et 405 340 $. 

Au palier fédéral, le principal programme dédié à la culture scientifique est PromoScience du CRSNG. En 2011, sur les 49 organismes subventionnés, 9 étaient québécois. D’autres organismes pan-canadiens, qui livrent leurs programmes au Québec, font partie des subventionnés.

Agronome et biologiste de formation, David Carter repère les tendances en matière de recherche et de science pour le gouvernement du Québec. Vous pouvez aussi le suivre sur Twitter @DavidCarter52.

 

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