La vulgarisation confrontée à la psychologie


Le mercredi 1er mai 2013

Pour améliorer le transfert des connaissances en communication scientifique, il faut amener le public à délaisser ses idées préconçues.

Par Pascal Lapointe

Au Musée des sciences de Boston s’ouvre cet automne une exposition dont le sujet est convenu —un débat dans l’actualité— mais dont l’objectif, lui, est original: plutôt que d’amener le visiteur à se faire une tête sur un sujet, on veut l’amener à comprendre pourquoi il s’était déjà fait une tête avant d’entrer.

«Ceux qui ont pris part [aux focus groups] sont ressortis un peu moins convaincus de leurs propres opinions», déclarait Lucy Kirshner, directrice des espaces Découvertes au Musée, lors du dernier congrès de l’Association américaine pour l’avancement des sciences. «Ce qui est étrange pour un musée. Parce que d’ordinaire, on est content que les gens ressortent avec une idée: celle qu’on voulait leur inculquer.»

La réflexion à la base de cette exposition? Un retard que la vulgarisation doit combler sur la... psychologie.

Homéopathie et politique, même combat

Tout amateur de science a déjà vécu cette expérience frustrante: une discussion qui tourne à vide avec un croyant en une pseudoscience.

Mais les avancées en psychologie de la cognition et en neurosciences révèlent que ce n’est pas juste affaire de pseudosciences. Qu’il s’agisse d’une croyance en l’homéopathie ou en une idéologie politique, les mécanismes neuronaux semblent être les mêmes. Et les conséquences sur le transfert d’information, similaires: les gens ne liront que les textes qui confortent leur opinion. Ou plus exactement, explique Dan Kahan, de l’Université Yale, ils ne liront que les textes qui sont en symbiose avec «leur» groupe.

Kahan, l’un des consultants de la future exposition de Boston, Provocative Questions, appelle ça la «cognition culturelle»: «la tendance à ajuster [notre] perception aux valeurs morales» que nous partageons avec notre entourage.

Pour amener le visiteur à en prendre conscience, l’exposition proposera une thématique «controversée» par semestre: par exemple, faut-il taxer les boissons gazeuses pour lutter contre l’obésité. Ça commence par un écran où le visiteur doit répondre à la question, mais il doit ensuite demander à son voisin ce qu’il a répondu, et pourquoi; on lui offre diverses lectures, on le fait passer par d’autres questions, le parcours étant conçu pour qu’idéalement, il réfléchisse aux raisons pour lesquelles ses opinions penchent d’ores et déjà d’un côté.

L’idée n’est pas entièrement nouvelle. Face aux pseudosciences, les communicateurs ont très tôt constaté que de simplement déverser des connaissances factuelles ne suffisait pas. Ailleurs, c’est plus douloureux à admettre, et le «débat» sur les changements climatiques a représenté un point tournant. Aux États-Unis, les climatologues ont dû admettre avec dépit, ces dernières années, que plus vous êtes un partisan républicain, moins vous êtes susceptible de croire au réchauffement. Pire: ce blocage est encore plus prononcé si vous êtes un républicain... qui a fait des études supérieures!

Deux recherches parmi d’autres: une méta-étude parue en 2007 dans Nature Neuroscience, pointe l’existence de façons d’apprendre différentes suivant que l’on soit un «libéral» ou un «conservateur» américain. Puis un article paru en 2011 dans le Journal of Neuroscience qui suggère que le «biais de confirmation» —je découvre un article qui confirme ce en quoi je crois— provoque dans le cerveau un «high», peut-être pas aussi prononcé que la drogue, mais assez pour qu’on s’interroge sur l’efficacité de notre bonne vieille façon de vulgariser.

On a souvent défini la communication scientifique comme un processus allant du haut vers le bas: en haut, le savant, en bas, l’ignorant. C’est en vertu de ce modèle que les scientifiques se désolent de «l’ignorance» des journalistes —ah, si seulement on pouvait leur enseigner... Mais si ces psychologues et neurologues ont raison, pour communiquer, il va falloir de plus en plus dialoguer, tenir compte des valeurs du groupe auquel on s’adresse, bref, s’ajuster à son public.

Et ne pas attendre un mythique lendemain qui chante, où tout le monde saura la même chose...

À lire aussi :

La vulgarisation en retard sur la psychologie (2012)

Le savoir ne se transmet pas à coups de marteau (2011)

Si tu es individualiste, tu ne crois pas au réchauffement (2010)

Pascal Lapointe est journaliste scientifique et rédacteur en chef de l'Agence Science-Presse. Il tient aussi un blogue sur la science et les médias.

 

> Retour à la liste des nouvelles