Le journaliste aime trancher, l’universitaire préfère nuancer


Le journaliste aime trancher, l’universitaire préfère nuancer

Le mardi 19 mars 2013

Alain Létourneau compile les impressions d'universitaires qui ont fait face aux médias.

Par Valérie Levée

Le mariage est difficile entre le journaliste et l’universitaire. Pour commenter un événement, le reporter ira quérir l’avis d’un expert universitaire qui, en retour, profitera de cette visibilité pour mettre en valeur ses travaux de recherche. Des bénéfices réciproques devraient encourager et faciliter leurs relations. Or, elles ne coulent pas de source, ces relations.

Sous la direction d’Alain Létourneau, professeur de philosophie à l’Université de Sherbrooke, un collectif d’universitaires commentent leurs expériences avec les médias dans un ouvrage intitulé L’universitaire et les médias - Une collaboration risquée mais nécessaire. De leurs écrits, récemment parus aux éditions Liber, ressortent quelques lignes convergentes.

La relation entre universitaires et médias a quelque chose d’asymétrique : le journaliste a bien plus souvent besoin du chercheur que l’inverse. C’est pourtant le média qui fixe les règles du jeu et impose le format final de l’intervention médiatique de l’universitaire.

En fait, les pratiques de leurs sphères professionnelles sont aux antipodes.

Rentabiliser l’information

Raymond Corriveau, professeur de communication sociale à l’UQTR, observe que les médias obéissent à une logique commerciale et cherchent à rentabiliser l’information. Dans un contexte de concurrence, le journaliste doit agir vite, faire parler un expert- vedette ou autre chercheur disponible, lui demander de réagir à chaud, d’aller à l’essentiel, de trancher. Comme plusieurs l’expriment au fil des pages, c’est tout le contraire d’un universitaire qui veut prendre le temps d’analyser le document ou la situation qu’on lui demande de commenter et qui veut nuancer son propos.

Ces pratiques, pas exactement compatibles, entraînent certaines insatisfactions, voire frustrations chez l’universitaire. Il craint d’être mal cité, que son propos soit exagéré et assimilé à une cause sociale. Corinne Gendron, professeure au département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale à l’UQAM, explique comment le traitement journalistique a détérioré les relations qu’elle entretenait avec des organismes sociaux partenaires de ses recherches.

L’universitaire est aussi frustré par la brièveté de ses interventions par rapport au temps investi. De surcroît, l’expertise est relative : l’universitaire disponible ou qui accepte de répondre n’est peut-être pas le plus expert des experts. Il sera frustré de s’exprimer en dehors de son champ de recherche et de taire ses propres compétences.

Devant ces risques et frustrations, bon nombre de chercheurs refusent de répondre aux médias. Ceux qui acceptent doivent s’adapter aux pratiques médiatiques.

Comme l’écrit Sami Aoun, professeur au département de science politique de l’Université de Sherbrooke, il faut accepter l’instantanéité, faire preuve de concision, avoir le sens de la formule. En politique internationale, il a le défi de « faire comprendre un événement avec toutes ses nuances et subtilités à un public qui ne maîtrise pas toujours la complexité de l'ordre international ». Conscient que des notions de base manquent à l’auditoire, il doit vulgariser et préconise pour cela une concertation avec le recherchiste afin de faciliter l’entrevue avec le journaliste.

Les universitaires qui choisissent de rencontrer les médias doivent cependant éviter le piège du vedettariat. Leurs noms apportent de la crédibilité et augmentent les cotes d’écoute, mais ils deviennent aussi des objets médiatiques. À ce propos, Corinne Gendron regrette que les journalistes privilégient l’universitaire-vedette au détriment de l’étudiant-expert du sujet à commenter.

Malgré ces pratiques professionnelles divergentes, Armande Saint-Jean, ancienne journaliste maintenant professeure au département des lettres et communication de l’Université de Sherbrooke, estime que journalistes et chercheurs partagent un même désir de transmettre des connaissances et d’informer.

La clé d’une meilleure relation entre journalistes et universitaires transite peut-être par les relationnistes et les recherchistes, des maillons entre les sphères universitaires et médiatiques à peine effleurés dans ce livre.

Sous la direction de Alain Létourneau. L’universitaire et les médias - Une collaboration risquée mais nécessaire, Liber, 2013, 156 p.

Valérie Levée est biologiste de formation, journaliste scientifique de reconversion et communicatrice scientifique multifonctions.

 

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