Sale temps pour la science


Sale temps pour la science

Le mardi 5 mars 2013

Les gouvernements fédéral et provincial mettent la hache dans le financement de la recherche.

Par Valérie Borde

À Ottawa, l’ignorance stratégique que prône le Parti conservateur s’est traduite depuis deux ans par un désengagement massif de l’État dans la recherche scientifique. Pour Yves Gingras, sociologue et historien des sciences à l’UQÀM, ce sont avant tout des considérations idéologiques qui, aux yeux de Stephen Harper, justifient les coupures dans les laboratoires gouvernementaux : il s’agit de ne placer aucune entrave au développement économique, même si celui-ci doit se faire au détriment de l’environnement ou de la santé des Canadiens, et de se débarrasser d’activités considérées comme inutilement coûteuses, voire nuisibles, telle que les recensements et autres études du territoire et de la population. Même George Bush n’était pas allé aussi loin dans le désengagement de l’État!

Dans la dernière année, les coupures, impossibles à chiffrer précisément, ont affecté surtout Statistiques Canada, Environnement Canada, Pêches et Océans et Agriculture et Agroalimentaire Canada. Des labos ont été démantelés, comme celui de la Région des lacs expérimentaux au Manitoba, d’autres ont été «dégraissés», comme l’Institut Maurice-Lamontagne à Mont-Joli où 40 postes ont été supprimés en 7 mois. Les scientifiques figurent parmi les personnes les plus touchées par les 5 5000 «réaménagements des effectifs» au gouvernement fédéral depuis le budget de 2012. La communication de la science en souffre inévitablement.

Dans les universités, le gouvernement fédéral a par ailleurs revu sa stratégie de financement pour «favoriser l'excellence», c’est-à-dire accorder des bourses potentiellement plus importantes, mais à un nombre de plus en plus restreint de candidats, professeurs chercheurs ou étudiants aux cycles supérieurs. Résultat : les taux d’échec ont grimpé en flèche depuis deux ans. Entre 2010 et 2011, le Conseil national de recherches en sciences et génie du Canada, par exemple, a presque maintenu son budget alloué aux bourses d’études supérieures et postdoctorales, qui est passé de 124,6 à 123,9 millions de dollars. Mais le nombre d’étudiants financés a chuté de 2529 à 1704, et le nombre de postdocs de 286 à 133.

Au Québec

À Québec, le gouvernement Marois promettait aux chercheurs de faire tout en son possible pour faire du Québec une véritable société du savoir. Mais ses premières décisions budgétaires motivées par la lutte au déficit ont jeté un froid.

Après l'annonce de coupures de 250 millions dans le budget des universités sur deux ans, ce sont les Fonds de recherche qui ont écopé alors que le budget qui leur était alloué par la précédente Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation prenait fin brusquement. Le budget du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FQRNT) devait ainsi passer de 50,1 millions de dollars en 2012-2013 à 35,2 millions pour 2013-2014; celui du Fonds de recherche en santé, de 79,8 à 69,8 millions, et celui du Fonds Société et culture de 49,9 à 42,8 millions.

En février, après la sortie publique fort médiatisée de chercheurs en santé, le ministre Pierre Duchesne a annoncé un réinvestissement de 26,5 millions de dollars dans les fonds, pris en partie dans le budget de la lutte aux changements climatiques. Comme par hasard, les chercheurs en santé sont les grands bénéficiaires de ce revirement, alors que 8 des 10 millions coupés au FRSQ ont été réattribués.

Il faudra attendre la Politique nationale de la recherche et de l’innovation attendue pour ce printemps pour savoir à quoi s’en tenir pour l’avenir de la recherche québécoise, dont le ministre Pierre Duchesne veut discuter lors d’Assises nationales qui seront organisées en avril.

Le ministre a déjà en main les 98 mémoires déposés par des acteurs du milieu sous l’égide de l’Association francophone pour le savoir (Acfas) et de l’Association de la recherche industrielle du Québec (Adriq).

Quelques soient les orientations retenues, c’est avant tout le budget qui sera alloué par le gouvernement à cette politique que tous attendent. La recherche fera-t-elle les frais de la lutte au déficit ? Pas plus que les recteurs ou les étudiants réunis au Sommet de l'enseignement supérieur, les chercheurs ne sont dupes des promesses d’investissements à long terme.

Il faut espérer que ces assises serviront à autre chose qu’à temporiser, ou à faire passer la pilule!

Arrivée au Québec il y a 20 ans, Valérie Borde alimente un blogue scientifique sur le site web de L’actualité en plus d’y collaborer régulièrement. Au cours de sa carrière, elle a publié plus de 500 reportages sur de nombreux thèmes scientifiques.

 

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