Culture scientifique, éducation et démocratie


Culture scientifique, éducation et démocratie

Le mardi 5 mars 2013

La culture scientifique est essentielle pour comprendre les enjeux d'une société et la gouverner.

Par Normand Baillargeon

Pour bien des gens, dont je suis, certaines des politiques publiques du gouvernement Harper relatives à la science et à la recherche scientifique constituent de graves et soutenues attaques contre un bien très précieux. Mais qu’est-ce qui en fait au juste la valeur?

Je répondrais à cette question en invoquant des raisons de 2 ordres.

Les premières sont intrinsèques et éducationnelles et tiennent à la valeur que l’on accorde à la science dans le cadre d’une éducation digne de ce nom.

Les deuxièmes sont extrinsèques, instrumentales. On évoque le plus souvent, à ce propos, la place irremplaçable de la science et de la technologie dans des sociétés et des économies hautement technologiques comme les nôtres. Cet argument est recevable, mais il conduit aussitôt à soulever la question politique de l’opportunité de déployer telle ou telle technologie plutôt que telle autre, d’adopter telle ou telle politique publique plutôt que telle autre. Et c’est pourquoi il me semble que c’est surtout sur le plan de sa contribution à la vie politique d’une démocratie que la valeur instrumentale de la science doit être rappelée. C’est ce que je ferai ici après avoir dit un mot de sa valeur intrinsèque.

La science et la culture générale

Si on admet que l’éducation doit viser à former une personne autonome, capable de penser par elle-même, et que cela suppose d’avoir parcouru le plus large éventail possible de manières par lesquelles les être humains comprennent et donnent du sens au monde et à leurs expérience, on est conduit à se demander ce que sont ces dernières. S’ouvrent alors de vifs et passionnants débats. Mais tout le monde convient que la science et les mathématiques sont indiscutablement du nombre.

Hélas, le fameux clivage entre ce que C.P. Snow appelait les 2 cultures, la littéraire et la scientifique, est toujours aussi profond et il y a là un défi que les éducateurs n’ont pas réussi à surmonter : donner à chacun une « littératie » scientifique et mathématique commune. Cette éducation scientifique, à mon sens, devrait proposer un tour au moins qualitatif des principaux résultats des différentes « grandes » sciences — et donc introduire à la physique, à l’astronomie, à la chimie, aux sciences de la terre, à la biologie (y compris l’écologie scientifique) et aux mathématiques. Elle devrait aussi présenter la science comme une aventure intellectuelle, exaltante et exemplaire, mais aussi comme une aventure humaine et pour cela inscrire fortement la science dans ses contextes sociaux et historiques.

Nous sommes loin du compte et c'est désolant non seulement pour l’idéal éducationnel qui sous-tend cette demande d’éducation scientifique, mais aussi pour des considérations politiques. C'est que des personnes ayant reçu une telle éducation sont ou seront demain des citoyennes et citoyens. Ce qui me conduit aux raisons instrumentales évoquées plus haut.

La science et le politique

C’est un truisme et une banalité, mais permettez-moi de le rappeler : la science et la technologie qu’elle permet de déployer sont et seront au cœur de la plupart des enjeux et des défis que nous réserve le futur – énergie nucléaire, énergies fossiles, cellules souches, pandémies virales, réchauffement planétaire, vaccination et ainsi de suite. Or, à proportion que des gens ne sont pas outillés pour comprendre ces enjeux, la conversation démocratique est privée de certaines des lumières qui lui sont indispensables et que la science peut lui apporter de manière exemplaire. Caractérisée par le souci des faits et de la vérification indépendante, elle donne aussi une leçon d’humilité épistémique et de faillibilisme.

Car le fait est qu’à défaut de posséder une connaissance préalable au moins qualitative des concepts utilisés dans ces débats, il est strictement impossible d’y prendre part, et encore moins d’y prendre part de manière critique. Pire encore : l’importance politique de la science échappera très probablement à quiconque ne possède pas ces savoirs préalables et qui, dans ce cas, sera à la merci des très substantiels organes de propagande qui occupent désormais une si grande place dans notre conversation démocratique.

Pour m’en tenir à un exemple récent des immenses périls que nous fait courir notre méconnaissance collective de la science, considérez à quel point, aux États-Unis notamment mais pas seulement là, le remarquable effort de communication entrepris par les scientifiques eux-mêmes à travers le Panel intergouvernemental sur le changement climatique a pu, au moins en partie, être sabordé par la fraude d’un prétendu « climategate » vendu par des journalistes en mal de copie à un public scientifiquement illettré.

Il n’y a, comme chacun sait, que trois solutions possibles aux problèmes esquissés ici : l’éducation, l’éducation et l’éducation.

Normand Baillargeon enseigne la philosophie de l'éducation à l'UQAM. Il est l'auteur, l'éditeur ou le traducteur d'une quarantaine d'ouvrages consacrés à la philosophie, à l'éducation, à l'anarchisme et à la poésie. Sa défense de la place des sciences et des mathématiques dans la culture générale est présentée dans Liliane est au lycée, Flammarion, Paris, 2011.

 

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