Coupures à Parcs Canada : atteinte à la mémoire collective


Coupures à Parcs Canada : atteinte à la mémoire collective

Le mardi 5 mars 2013

Moins de conservateurs, moins d'archéologues : les coupes à Parcs Canada, qui chapeaute de nombreux sites historiques, affectent aussi la mémoire collective canadienne en la privant de leur savoir.

Par Valérie Levée

À l'évocation de Parcs Canada, les paysages de Forillon, de la Mauricie, de Banff, etc.,  défilent dans nos têtes. Mais au-delà de ces merveilles naturelles, il y a tout un réseau de sites historiques. Au sein de Parcs Canada, des archéologues et des conservateurs des collections s'attèlent à faire ressurgir du passé ces jalons tangibles de l'histoire du pays tandis que des guides les font découvrir aux visiteurs.

Or, le couperet du gouvernement fédéral ne les a pas épargnés.

Révélations du passé

Sur le terrain, les archéologues sondent et fouillent le sol à la recherche d'artéfacts. Les conservateurs bichonnent ces vestiges du passé et montent des collections. Ensemble, ils reconstituent pièce par pièce le puzzle de l'histoire. Ils développent un patrimoine historique qui devient une ressource culturelle à diffuser et à mettre en valeur par des publications, des expositions, des visites. Avec eux, les sites historiques acquièrent une signification et prennent vie.

Ainsi, non loin de Trois-Rivières, chacun peut visiter les Forges du Saint-Maurice et découvrir le premier village industriel du pays. En Montérégie, les canaux de Saint-Ours et de Chambly rappellent qu'aux 18e et 19e siècle, une partie des échanges commerciaux entre Montréal et New York s'effectuaient par voie navigable.

Ce sont au total 218 Parcs nationaux, lieux historiques et aires de conservation marines parcs que gère Parcs Canada. Autant de sites qui connectent les populations locales sur l'histoire de leur région, leur permettant de construire une identité, et qui, plus largement, participent au tourisme culturel.

Bref, les archéologues, les conservateurs et les guides sont les gardiens et les passeurs de notre mémoire collective.

L’ampleur des coupes

Toutefois, le budget fédéral du printemps 2012 impose des coupes drastiques à Parcs Canada. En avril dernier, 3872 membres de l’Alliance de la Fonction publique du Canada recevaient une lettre les avisant que leur poste serait touché par les restrictions budgétaires. Parmi eux, 1689 sont des employés de Parcs Canada. Certains de ces postes sont déménagés, 638 ont été supprimés, d’autres vivent l’incertitude.

Au centre de services de Québec seulement, 51 des 85 employés sont affectés par les coupures. Parmi eux, 32 ont été remerciés. Il ne reste plus à Québec qu'un archéologue et un conservateur sur une équipe de 5.

La même situation se répète d’un océan à l’autre. Au total, sur les 72 archéologues et conservateurs du pays, il n'en reste plus que 20. Quant aux guides en chair et en os, plusieurs seront être remplacés par des audioguides ou des applications iPad.

Le personnel n'est pas le seul a subir les coupures. Les collections sont susceptibles d’être transférées à Ottawa sans que suive l'expertise. Les périodes de visite des sites seront également écourtées.

Malheureusement, le portrait exact de la situation et les conséquences restent flous. « Peut-être par peur de mesures disciplinaires, les gens du milieu ne parlent pas », me confie-t-on sous le couvert de l’anonymat. La personne qui me parle se montre d’ailleurs prudente dans le choix de ses mots. Toute cette réserve en dit long sur l’ambiance qui règne au sein de Parcs Canada.

La recherche écope...

Moins d’archéologues et moins de conservateurs, c’est aussi une diminution de la capacité de recherche de l’institution, d'autant plus que l’éventuel déménagement des collections à Ottawa compliquerait l'accès aux artéfacts. Ironiquement, les archéologues de Québec devraient désormais se rendre à Ottawa pour étudier des collections qu'ils auront contribué à mettre au jour dans leur propre ville. Pire, les étudiants auraient un moindre accès aux collections.

Dès lors, comment est-il possible d’intéresser les jeunes à l'archéologie, à enquêter sur l'histoire du Canada? Comment assurer la relève? Quant au devenir des collections transférées à Ottawa sans que suive l'expertise scientifique, que leur resterait-il sinon l'oubli?

... les visiteurs aussi

Dans les sites historiques, la conservation des artéfacts exposés devient incertaine. Sans conservateurs, qui veillera aux bonnes conditions d’humidité et de lumière? Qui veillera à l’intégrité des archives ? Et qui renouvèlera le contenu des expositions pour maintenir l’intérêt du public? Sans le pouvoir d'évocation des collections, les sites historiques perdent de leur sens. 

Déjà, la Maison-Riel à Winnipeg, qui commémore la mémoire de Louis Riel, a fermé ses portes. Ailleurs, comme au parc Cartier-Brébeuf et au fort Numéro-Un de Lévis, les visites guidées qui auparavant étaient offertes jusqu'à l'Action de grâce ont pris fin à la Fête du travail. À leur réouverture au printemps prochain, plusieurs sites, comme la Maison-Laurier, ne verront pas le retour des guides. Les visiteurs seront laissés à eux mêmes ou devront s'en remettre à une application iPad. La visite perdra de sa valeur et une baisse de la fréquentation des sites est à craindre. Tant pis si la population locale perd le contact avec le patrimoine historique et si la fermeture en période scolaire privent les élèves de visites éducatives.

Le gouvernement fédéral invoque des raisons économiques. Pourtant, dans un communiqué de presse du 24 novembre 2012, ce même gouvernement rapportait la contribution de Parcs Canada à l'économie canadienne. Pour l'année fiscale 2008-2009, les retombées économiques de cette institution étaient de 3,3 milliards de dollars pour un investissement de 587 millions de dollars. 3 ans plus tard, es retombées économiques se seraient-elles volatilisée? Ou s'en prendrait-on à la culture?

Valérie Levée est biologiste de formation, journaliste scientifique de reconversion et communicatrice scientifique multifonctions.

 

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