Cultiver l’inculture scientifique


Cultiver l’inculture scientifique

Le mardi 19 février 2013

Le gouvernement fédéral musèle les scientifiques, coupe leur financement pour la recherche, mais la communication scientifique en souffre également.

Par Valérie Levée

Un pays qui se vante de se construire sur l’économie du savoir devrait mettre dans ses priorités le développement et la diffusion des connaissances scientifiques. Or, les faits sont là : musèlement des scientifiques, coupes dans les budgets de recherche, suppression de postes de chercheurs, fermetures de bibliothèques et de musées…  Faits qui incitent à s‘interroger sur la volonté des gouvernements à promouvoir la science. 


Le musèlement des scientifiques

C’était il y a un an tout juste. Le 17 février 2012, conjointement avec la Canadian Science Writers’ Association, l’ACS a profité de la tenue du congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) à Vancouver pour organiser un atelier sur le musèlement des scientifiques à l’emploi du gouvernement canadien. Les panélistes y ont dénoncé le manque de liberté des chercheurs à communiquer leurs résultats avec leurs pairs et les médias.

Or, la situation perdure comme le rappelle la Société Royale du Canada dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir le 4 janvier dernier : « Les scientifiques employés par le gouvernement se sont vu imposer des limites déraisonnables lorsqu’il s’agit de communiquer leurs découvertes, que ce soit par le biais de la publication de leurs recherches ou de leur participation à des conférences scientifiques. »

Parlement d'Ottawa
Image : Jeffery Nichols/Wikipedia Commons

Un frein à la recherche
 
Au printemps 2012, le Ministre des Finances Jim Flaherty a déposé le budget fédéral. Au programme : des coupures importantes à Environnement Canada, Pêches et Océans Canada, Parcs Canada, Statistique Canada…  Les mois suivants, des centres de recherche ont mis fin à leurs activités (des lacs expérimentaux de l’Ontario, la station PEARL, l’Institut du biodiagnostic du CNRC à Winnipeg, pour ne citer que quelques exemples). Des postes de chercheurs ont été supprimés à l’Institut Maurice-Lamontagne, à Santé Canada... Le formulaire long du recensement a été aboli. Après tout, pour empêcher la diffusion des connaissances, autant commencer par ne pas les acquérir!

Dans cette vague d’entrave à la circulation des connaissances dans la communauté scientifique, les restrictions budgétaires entrainent aussi la fermeture de 7 bibliothèques de Pêches et Océans Canada, dont celle de l’Institut Maurice-Lamontagne, la seule bibliothèque francophone du ministère.

Pourtant, comme l’exprime Yves Gingras dans une entrevue publiée dans L’Actualité de ce mois de février, ces institutions fournissent des informations essentielles à nos dirigeants. « Depuis le XVIIe siècle, on sait qu'on ne peut gouverner un pays sans institutions scientifiques, parce que l'État a besoin de données fondamentales et objectives pour assurer la santé de sa population et la sécurité de son territoire. »

Une érosion de la culture scientifique

Au-delà de ces coupures budgétaires qui effritent les capacités de recherche se dessine aussi une érosion de l’accès du public à la culture scientifique.

Cette érosion est déjà en marche quand le musèlement empêche les scientifiques de s’exprimer librement avec les médias. Elle se poursuit avec la disparition de la littérature grise d’Environnement Canada, cette source d’information vulgarisée destinée au grand public. Elle est encore à l’œuvre à travers les coupures du gouvernement fédéral dans le domaine de l’archéologie et de Parcs Canada. Comme le dit William Moss, le président de l’Association canadienne d’archéologie, dans sa lettre à Stephen Harper : « Il n’y aura dorénavant que 12 archéologues et 8 conservateurs en soutien à l’exploitation de 218 parcs nationaux, lieux historiques et aires de conservation marine dont plusieurs sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous comprenons également que le programme d’éducation du public et de diffusion a été abandonné. »

Cette volonté de réduire l’accès du public à la culture scientifique devient flagrante lorsqu’un musée comme la Biosphère doit fermer ses portes. Ce cas n’est pas isolé puisque c’est maintenant au tour du Centre des sciences de Montréal d’écoper.

Claude Benoît, une femme d'exception >>>

Quel avenir pour le Centre des sciences de Montréal? >>>

Économie ou société du savoir

Pourtant, la culture scientifique, écrit le philosophe Normand Baillargeon dans Voir du 14 novembre 2012, « contribue de manière irremplaçable à la formation de la pensée critique et à son exercice sur un grand nombre de sujets cruciaux » . À moins que cette pensée critique ne soit nuisible à certains secteurs économiques… car les coupures budgétaires ne tombent pas aveuglément.

Dans Voir le 9 janvier dernier, M. Baillargeon souligne que « c’est de manière prépondérante sur le réchauffement planétaire, sur les questions environnementales et en particulier les sables bitumineux que ces coupes sont effectuées, que ces contraintes et bâillonnements s’exercent » .

Avec cette économie des connaissances, le gouvernement fédéral vise peut-être une certaine économie du savoir. Mais en occultant des pans de connaissances, cette économie devient aussi celle de l’inculture scientifique, au détriment de la société du savoir.

Un dossier à suivre et à documenter

Il reste difficile de cerner les conséquences des décisions politiques  sur la diffusion des connaissances scientifiques dans la société. D’autres mesures plus discrètes mais ponctuelles amplifient le phénomène et le gouvernement québécois n’est pas en reste non plus. Le dossier s’étoffera au fil des semaines avec des articles qui tenteront de documenter la situation. Si vous avez des informations, n’hésitez pas à les partager.

Valérie Levée est biologiste de formation, journaliste scientifique de reconversion et communicatrice scientifique multifonction.

 

> Retour à la liste des nouvelles