Réforme du droit d’auteur: des miettes


Réforme du droit d’auteur: des miettes

Le mardi 22 janvier 2013

Si vous avez reçu, ces dernières années, des chèques signés Copibec pour des photocopies de vos textes dans les écoles, vous pourriez être encore gâtés cette année...

...Mais s’il n’en tenait qu’à la réforme de la Loi canadienne sur le droit d’auteur, ce serait terminé.

Par Pascal Lapointe

La réforme crée 40 «exceptions», et l’une d’elles touche directement au portefeuille des auteurs et journalistes: l’éducation. Les éditeurs aussi, puisqu’un mémoire entier de l’ANEL (Association nationale des éditeurs de livres) dénonçait cette exception en juin 2012, dans un mémoire déposé au Sénat, dans une ultime tentative pour bloquer la loi modifiant le droit d’auteur. Celle-ci est officiellement entrée en vigueur le 7 novembre 2012.

Cette exception autorise une «utilisation équitable pour l’éducation», peu définie, mais qui signifie dans les faits que les écoles primaires et secondaires n’auront essentiellement plus à payer pour les traditionnelles photocopies, ou copies numériques, d’articles de magazines ou d’extraits de livres (sauf s’ils dépassent une certaine longueur).

L’ANEL, l’UNEQ (Union des écrivains québécois), l’AJIQ (Association des journalistes indépendants) et 75 associations ont protesté le printemps dernier, s’inquiétant du fait que même les musées et les bibliothèques n’allèguent tôt ou tard avoir eux aussi une vocation «éducative». Le Barreau du Québec avait reproché dès 2010 au projet de loi d’introduire «de l’incertitude de nature à encourager la judiciarisation des rapports entre les auteurs, les fournisseurs et les consommateurs». En entrevue, la présidente du comité du droit d’auteur à l’ANEL, Aline Côté renchérit: «des pressions ont été faites pour que ce soit bien balisé, que ce ne soient pas toutes les œuvres qui soient utilisables en classe sans compensations.» En vain.

Québec est intervenu le 11 décembre dernier pour limiter les dommages: les ministres de l’éducation et de la culture ont annoncé deux ententes sur la gestion collective des droits, l’une pour les artistes interprètes, l’autre pour les auteurs: Copibec touchera 3 millions par année d’ici 2015. Cela fait de Québec un cas à part dans l’ensemble du Canada: pour les scribes d’ici, c’est ce qui sauve «le chèque de Copibec», mais uniquement pour le primaire et le secondaire. En ce qui concerne les redevances provenant traditionnellement des collèges et des universités, des négociations se poursuivent.

L’UNEQ, l’ANEL et l’AJIQ auraient souhaité que la réforme tienne compte des copies qui se diluent dans le cyberespace : là aussi, peine perdue. Il n’y aura pas de redevances sur les tablettes, pas plus que les artistes n’ont obtenu l’annulation de «l’exception YouTube», qui est en gros l’autorisation de mettre en ligne toutes sortes d’œuvres qui peuvent être des adaptations d’une œuvre originale, sans mentionner la source.


Copibec: fondée en 1997, elle est chargée d’une part, de percevoir les sommes que paient (ou payaient) écoles et universités (entre autres) pour la réutilisation de textes de périodiques ou de livres; d’autre part, elle redistribue ces sommes à chacun des auteurs concernés. COPIBEC redistribue aussi régulièrement une somme globale à l’ensemble des pigistes, censée compenser pour les photocopies non déclarées qui ont été réalisées dans le milieu scolaire ou universitaire. Sur les 10 membres de son conseil d’administration, trois représentent l’UNEQ et un, l’AJIQ.

Pigistes et écrivains: le droit d’auteur d’un journaliste pigiste a toujours été le même que celui d’un auteur de livres, à savoir que «si vous créez quelque chose d’original hors du cadre d’un emploi, il vous appartient en exclusivité», résume un dossier de la revue Liaison. En d’autres termes, le pigiste qui vend un article à un journal ou un magazine ne vend que «le droit de première publication». Sauf que ce droit perd de sa valeur: depuis 15 ans, nombre d’éditeurs se sont mis à faire signer des contrats à leurs pigistes, par lesquels ceux-ci abandonnent tous leurs droits sur tous leurs textes. La réforme de la Loi n’y change rien. 

Les journalistes salariés: ne sont pas concernés parce qu’un salarié, en vertu de la Loi, cède ses droits d’auteur à son employeur.

Source image : Flickr Jesse S.



Pour en savoir plus

Courts textes explicatifs sur la « modernisation » de la Loi, par Copibec

Communiqué de 75 associations (musique, chanson, livre, etc.), le 9 juin 2012.

Gaston Bellemare, président de l’ANEL, «Droit d’auteur : il s’efface dans le confort et l’indifférence», Le Devoir, 10 mars 2012.

Aline Côté, «Le droit d’auteur : un essai de vulgarisation», Liaison, juin 2011.

 

Pascal Lapointe est rédacteur en chef de l’Agence Science-Presse. Il tient aussi un blogue sur les médias et la science.

 

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