Les bactéries au secours de l’environnement


Les bactéries au secours de l’environnement

Le mercredi 25 janvier 2017

par Fanny Rohrbacher

L’or noir, autrefois abondant et abordable, a permis une prodigieuse croissance économique et a élevé le niveau de vie dans de nombreux pays, dont le Canada, au cours du siècle dernier. Or, son utilisation a aussi entraîné des conséquences dévastatrices pour la planète. Afin de restaurer un équilibre environnemental, la dépollution des milieux contaminés aux hydrocarbures devient plus que nécessaire. La bioremédiation, c’est-à-dire l’utilisation d’organismes vivants, constitue maintenant une méthode privilégiée de décontamination. Cette solution « verte » est plus économique que les techniques traditionnelles de décontamination, telles que les traitements chimiques, l’excavation ou l’incinération.

La production industrielle d’hydrocarbures * – autant que leur utilisation inappropriée, leur élimination incorrecte et les pertes accidentelles liées à leur extraction ou à leur transport – entraîne la pollution de nombreux environnements, et ce, depuis le 19e siècle. Les marées noires figurent parmi les exemples les plus flagrants de pollution liée aux hydrocarbures. Celle survenue dans le golfe du Mexique en 2010 en raison de l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon a été décrite comme le pire désastre environnemental aux États-Unis. Plus de 800 millions de litres de pétrole brut ont été déversés dans le golfe, causant des dégâts irréversibles sur la faune et la flore et menaçant plus d’une cinquantaine d’espèces marines, sans compter les oiseaux et animaux englués dans le pétrole sur les plages. À la suite de cette marée noire, les scientifiques et les pêcheurs ont remarqué des mutations et des difformités chez de nombreuses espèces marines (crevettes sans yeux, ou encore crabes à carapace molle et plus petits que la normale).

Sur la terre ferme, les friches industrielles * sont des exemples de contamination aux hydrocarbures moins connus, mais aux conséquences tout aussi importantes que les marées noires. Des déchets dangereux, tels que des hydrocarbures, y sont fréquemment oubliés ou cachés et deviennent une source durable de pollution des sols. En 2009, la société de technologies environnementales Ventix a réalisé une étude sur les friches industrielles à Montréal. Elle a ainsi évalué à 135 km2 la superficie des friches industrielles contaminées dans la métropole, soit plus du tiers de l’île [1]. Montréal a déjà été le plus important centre de raffinage au Canada, mais sur les six raffineries montréalaises existant il y a quelques dizaines d’années, quatre ont cessé leurs activités dans les années 1980, devenant des friches industrielles contaminées[2].

La présence d’hydrocarburesdans l’environnement non seulement nuit gravement à la pérennité des écosystèmes, mais constitue aussi un danger pour la santé publique du fait de leur toxicité ainsi que de leurs propriétés mutagènes * et cancérigènes *. Les hydrocarbures peuvent également s’accumuler dans la chaîne alimentaire, finissant par se retrouver dans les assiettes de tout un chacun[3]. Parmi les effets toxiques des hydrocarbures, les troubles digestifs, respiratoires et neurologiques représentent les plus importants. Certains hydrocarbures, tels que le benzène, peuvent aussi affecter le développement d’un nourrisson, puisqu’ils traversent le placenta d’une femme qui y est exposée ou se retrouvent dans son lait maternel. La dépollution des milieux contaminés aux hydrocarbures, qu’ils soient marins ou terrestres, est donc devenue un enjeu écologique et sanitaire majeur.

Adaptation des bactéries à l’extrême

Depuis plus de 3,5 milliards d’années, les bactéries sont capables de s’adapter et de coloniser tous les types d’environnements jusqu’aux plus extrêmes, des eaux hypersalines de la mer Morte aux sources bouillantes et acides de Yellowstone, en passant par la désastreuse marée noire du golfe du Mexique et les friches industrielles montréalaises[4]. Les bactéries peuvent vivre dans ces milieux extrêmes parce qu’elles s’y adaptent rapidement. Cette adaptation repose sur ce qui pourrait paraître un superpouvoir, celui de s’échanger des gènes par simple contact[5]. En effet, les bactéries n’acquièrent pas seulement leurs gènes de leur mère, mais aussi de leurs sœurs, cousines et voisines. Ce phénomène, appelé « transfert latéral de gènes », consiste principalement en la transmission de gènes portés par des plasmides * entre une bactérie donneuse et une bactérie receveuse. Des bactéries aux propriétés physiologiques, aux structures cellulaires ou aux milieux de vie différents peuvent alors s’échanger des gènes pour améliorer leurs performances dans leur milieu actuel ou pour en envahir un nouveau [6]. Bien que les plasmides ne soient pas essentiels à la survie de la bactérie, ils contiennent des gènes qui peuvent lui être grandement bénéfiques, les plus connus étant ceux de résistance aux antibiotiques, de virulence * ou de biodégradation * de contaminants tels que les hydrocarbures [7].

Hydrocarbures au menu

Grâce à leur pouvoir adaptatif, les bactéries indigènes (initialement présentes dans un milieu) exposées à long terme à une contamination finissent par développer la capacité de dégrader les contaminants. Pour elles, les hydrocarbures constituent une source de carbone et d’énergie pour leur respiration et leur croissance. Elles sont alors capables de dégrader les hydrocarbures, des plus simples aux plus complexes, puis de les assimiler [8]. Dans un milieu contaminé, une bactérie est rarement équipée de tous les mécanismes appropriés pour dégrader un hydrocarbure. Une dégradation totale devient donc possible grâce à un ensemble de bactéries possédant des mécanismes de dégradation variés. La dégradation aérobie (en présence d’oxygène) représente la voie la plus rapide et la plus complète de dégradation des hydrocarbures [9]. De nombreux sites contaminés non oxygénés, tels que les puits de pétrole ou les sols profonds des friches industrielles, se révèlent à priori peu favorables au développement de la vie. Pourtant, ces milieux abritent eux aussi une communauté bactérienne riche et variée, qui, en l’absence d’oxygène, est malgré tout capable de dégrader les hydrocarbures. Même si cette dégradation anaérobie n’est pas aussi efficace que la dégradation aérobie, l’intérêt grandit pour son utilisation dans la dépollution de sites contaminés.

Biodégradation accélérée

Bien que la bioremédiation * constitue la meilleure solution à la décontamination de sites pollués aux hydrocarbures, elle est relativement lente et peut durer plusieurs années. De nombreuses stratégies visent alors à l’accélérer. Parmi elles, l’ajout de dispersant permet au pétrole, qui devrait normalement remonter à la surface de l’eau, d’être émulsionné en de minuscules gouttelettes et de rester en suspension dans l’eau. Ainsi, ces gouttelettes peuvent être attrapées plus facilement par les bactéries indigènes, qui les dégradent. Cette stratégie a été utilisée pour la bioremédiation de la marée du golfe du Mexique. Cependant, le fait de disperser les hydrocarbures entraîne temporairement et localement une forte augmentation de leur toxicité, jusqu’à ce que le pétrole dispersé se dissémine dans un vaste volume d’eau et soit dégradé par les bactéries indigènes [10]. Cet effet implique une certaine limitation de l’usage de la dispersion près des côtes et des zones sensibles ou lorsque les conditions de dilution semblent défavorables.

La bioaugmentation, quant à elle, consiste à enrichir un milieu pollué aquatique ou terrestre avec une ou plusieurs espèces bactériennes. Cette approche est utilisée lorsque les bactéries indigènes ne sont pas capables de dégrader les hydrocarbures parce qu’elles se trouvent dans des conditions stressantes de contamination soudaine. Bien que la bioaugmentation de bactéries exogènes (étrangères) ait été appliquée avec succès dans le nettoyage de sites contaminés, de nombreux facteurs influencent son efficacité au fil du temps ainsi que la survie des souches microbiennes introduites dans le sol ou l’eau. Non seulement les caractéristiques mêmes du milieu (telles que la température, le type de sol, la concentration en oxygène) ont une influence considérable sur son efficacité, mais la compétition entre bactéries exogènes et indigènes explique son échec à long terme [11]. En effet, les bactéries exogènes, habituées à croître en laboratoire dans des conditions optimales de croissance, entrent en compétition avec les indigènes, souvent beaucoup plus robustes et parfaitement adaptées aux conditions environnementales du milieu contaminé. La population exogène ensemencée finit donc par s’affaiblir et disparaître, son pouvoir biodégradant envolé en même temps qu’elle.

Bactéries génétiquement modifiées

Actuellement, les chercheurs s’intéressent à modifier génétiquement les bactéries afin de pallier ce phénomène de compétition. Les bactéries étant capables de s’échanger des plasmides, l’intégration des gènes de dégradation d’hydrocarbures dans les plasmides des bactéries donneuses semble la solution tout indiquée. Ces bactéries donneuses peuvent alors transférer leurs gènes de dégradation aux bactéries indigènes receveuses. Ainsi, la disparition des bactéries donneuses importe peu, puisque les plasmides possédant les gènes de dégradation ont été transférés aux bactéries receveuses et perdurent donc dans le milieu [12]. Cependant, la croissance non contrôlée de bactéries génétiquement modifiées et le fort potentiel de celles-ci de propager de nouvelles informations génétiques aux bactéries receveuses représentent des obstacles majeurs à la validation de cette technique [13]. En effet, la modification génétique des bactéries peut s’avérer dangereuse si elle n’est pas pleinement maîtrisée. Des bactéries nuisibles pourraient alors prendre de l’ampleur dans un écosystème et entraîner des conséquences dévastatrices pour la faune et la flore indigènes. Créer une nouvelle bactérie « kamikaze », c’est-à-dire contenant des gènes de suicide cellulaire, pourrait pallier cet inconvénient [14]. Cette bactérie serait non seulement capable de dégrader les hydrocarbures, mais aussi de contrôler sa croissance et son transfert latéral de gènes. L’apparition de traits génétiques indésirables, comme la résistance aux antibiotiques ou la virulence, serait alors évitée. Bien que les chercheurs soient encore dans une phase de recherche et d’expérimentation, l’utilisation de bactéries génétiquement modifiées a permis de franchir une frontière importante dans la bioremédiation de sites contaminés aux hydrocarbures.

Lexique :

Hydrocarbures : Composés formés entièrement d’atomes de carbone (C) et d’hydrogène (H) ; ils peuvent consister en des gaz (aussi appelés « gaz naturels » : méthane, propane), des liquides (encore appelés « pétrole » : hexane, benzène), des cires (paraffine, naphtalène) ou des polymères (polyéthylène, polypropylène, polystyrène).

Friche industrielle : Terrain laissé à l’abandon après l’arrêt de l’activité industrielle (minière, pétrolière, chimique ou sidérurgique) qui s’y exerçait.

Mutagène : Qui provoque des mutations dans l’ADN d’un organisme.

Cancérigène : Facteur (produit chimique simple ou complexe, exposition professionnelle, facteurs de risque liés au mode de vie ou encore agents physiques et biologiques) provoquant l’apparition d’un cancer, aggravant un cancer ou sensibilisant au développement d’un cancer.

Plasmides : Petites molécules circulaires d’ADN (jusqu’à 4 000 fois plus petites que le chromosome bactérien !) présentes en plusieurs copies et capables de se répliquer de manière autonome, qui se transmettent à la fois verticalement (de la cellule mère aux cellules filles lors de la division bactérienne) et horizontalement (d’une cellule donneuse à une cellule receveuse).

Virulence : Caractère pathogène, nocif et violent d’un micro-organisme (bactérie ou champignon).

Biodégradation : Décomposition de matières organiques par les processus biologiques de divers organismes vivants (bactéries, champignons, végétaux).

Bioremédiation : Ensemble de techniques utilisées pour dépolluer un site contaminé (sols, sédiments, eaux de surface ou souterraines) en faisant appel à l’utilisation de bactéries, de champignons (mycoremédiation), de végétaux divers (phytoremédiation) ou d’enzymes qu’ils produisent.

Références



[1] Joncas, H. (2014, 1er janvier). Terrains contaminés : le Montréal toxique. Les Affaires. Repéré à : http://www.lesaffaires.com/secteurs-d-activite/immobilier/terrains-contamines--le-montreal-toxique/565805

[2] Sommet de Montréal. (2002). L’industrie pétrochimique québécoise. Repéré à http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/SOMMET_FR/MEDIA/DOCUMENTS/Petrochimie.pdf

[3] Kim, K. H., Jahan, S. A., Kabir, E. et Brown, R. J. (2013). A review of airborne polycyclic aromatic hydrocarbons (PAHs) and their human health effects. Environment International, 60, 71-80. http://dx.doi.org/10.1016/j.envint.2013.07.019

[4] Canganella, F. et Wiegel, J. (2011). Extremophiles: From abyssal to terrestrial ecosystems and possibly beyond. Naturwissenschaften, 98(4), 253-279. http://dx.doi.org/10.1007/s00114-011-0775-2

Daoust-Boisvert, A. (2011, 3 août). Marée noire : des chercheurs dénichent des bactéries affamées de pétrole. Le Devoir. Repéré à http://www.ledevoir.com/societe/science-et-technologie/328608/maree-noire-des-chercheurs-denichent-des-bacteries-affamees-de-petrole

[5] Soucy, S. M., Huang, J. et Gogarten, J. P. (2015). Horizontal gene transfer: Building the web of life. Nature Reviews Genetics, 16(8), 472-482. http://dx.doi.org/10.1038/nrg3962

[6] Gogarten, J. P., Doolittle, W. F. et Lawrence, J. G. (2002). Prokaryotic evolution in light of gene transfer. Molecular Biology and Evolution, 19(12), 2226-2238. http://mbe.oxfordjournals.org/content/19/12/2226

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Obayori, O. S. et Salam, L. B. (2010). Degradation of polycyclic aromatic hydrocarbons: Role of plasmids. Scientific Research and Essays, 5(25), 4093-4106. http://www.academicjournals.org/journal/SRE/article-abstract/043841B22474

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[9] Rohrbacher, F. et St-Arnaud, M. (2016). Root exudation: The ecological driver of hydrocarbon rhizoremediation. Agronomy, 6(1), 19. http://dx.doi.org/10.3390/agronomy6010019

[10] Rico-Martínez, R., Snell, T. W. et Shearer, T. L. (2013). Synergistic toxicity of Macondo crude oil and dispersant Corexit 9500A® to the Brachionus plicatilis species complex (Rotifera). Environmental Pollution, 173(5), 5-10. http://dx.doi.org/10.1016/j.envpol.2012.09.024

[11] Thompson, I. P., Van Der Gast, C. J., Ciric, L. et Singer, A. C. (2005). Bioaugmentation for bioremediation: The challenge of strain selection. Environmental Microbiology, 7(7), 909-915. http://dx.doi.org/10.1111/j.1462-2920.2005.00804.x

[12] Wang, Y., Jiang, Q., Zhou, C., Chen, B., Zhao, W., Song, J. et Xiao, M. (2014). In-situ remediation of contaminated farmland by horizontal transfer of degradative plasmids among rhizosphere bacteria. Soil Use and Management, 30(2), 303-309. http://dx.doi.org/10.1111/sum.12105

[13] Benjamin, S. R., de Lima, F. et Rathoure, A. K. (2015). Genetically engineered microorganisms for bioremediation processes: GEMs for bioremediaton. Dans A. K. Rathoure et V. K. Dhatwalia (dir.), Toxicity and Waste Management Using Bioremediation (p. 113). Hershey, Penns. : Engineering Science Reference (IGI Global).

[14] Paul, D., Pandey, G. et Jain, R. K. (2005). Suicidal genetically engineered microorganisms for bioremediation: Need and perspectives. Bioessays, 27(5), 563-573. http://dx.doi.org/10.1002/bies.20220

 

Cet article a été publié auparavant dans la revue DIRE, Hiver 2017.

 

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