Le déclin des abeilles : la désinformation scientifique passe-t-elle inaperçue ?


Le vendredi 10 juin 2016

Lettre ouverte par Geneviève Rajotte Sauriol

En mars 2016, l’abeille des boites de céréales Cheerios a disparu. La nouvelle s’est alors propagée dans certains médias qui ont salué cette habile campagne de marketing. Orchestrée par General Mill, la campagne #BringBackTheBees rappelle à peu de choses près Précieuses Abeilles, initiative d’un consortium comprenant les fabricants de pesticides et semenciers Bayer CropScience, Syngenta et Monsanto, lancée en 2015. La logique de ces offensives de communication est la suivante : démontrer que l’industrie agroalimentaire est préoccupée par le déclin des pollinisateurs et qu’elle contribue à trouver des solutions. Ce qui est préoccupant cependant, c’est plutôt le fait que cette rhétorique repose sur la désinformation scientifique.

Malheureusement, certains médias semblent tomber dans le panneau. La science est pourtant claire : l’usage de pesticides, plus particulièrement des néonicotinoïdes, cause le déclin des abeilles[1].Une série d’autres facteurs, tels que les monocultures, la perte d’habitat et les parasites, aggravent la situation. Or, les Cheerios contiennent du maïs, céréale dont les semences sont enrobées de « néonics » dans 99 % des cas. Et que dire de l’implication des fabricants de ces pesticides eux-mêmes !

Le site Internet de la campagne Précieuses Abeilles abonde d’ailleurs de désinformation. Aucune mention des pesticides n’est faite, mise à part pour mentionner qu’ils sont plus sûrs que jamais. On blâme le varroa, un parasite des ruches, la diminution de l’habitat et même les apiculteurs pour expliquer l’effondrement des populations d’abeilles. Alors que les études scientifiques abondent sur les causes du déclin des pollinisateurs, une seule source figure sur l’ensemble du site : Statistique Canada, pour démontrer que le nombre de ruches est en hausse au pays! Ce qu’on ne nous explique pas, c’est que l’augmentation du nombre de ruches n’est pas synonyme d’une amélioration de la santé des abeilles domestiques et encore moins de celle des pollinisateurs. L’affaiblissement des colonies et la baisse de productivité par ruche constituent un phénomène sans équivoque constaté depuis des années par les apiculteurs[2]. Finalement, on se félicite d’offrir aux citoyens une solution clé en main, qui réside dans un échantillon gratuit de semences. Et surtout, on évite de mettre à l’avant-plan les idéateurs de l’initiative. 

Le message entourant les Cheerios vise quant à lui à détourner l’attention du public. On propose aux citoyens un sachet de semences (non certifiées) afin qu’ils plantent des fleurs mellifères. Or, c’est en modifiant les pratiques agricoles qui dégradent l’environnement qu’on arrivera à renverser la tendance. Si General Mills avait une réelle volonté de sauver les pollinisateurs, l’entreprise annoncerait que seuls des ingrédients certifiés biologiques, ou du moins exempts de pesticides, seront utilisés dans leurs produits. Mais ce que nous dit la science va sans doute à l’encontre des objectifs commerciaux de l’entreprise. 

Contredire un consensus scientifique, omettre une information importante à la compréhension de l’enjeu, interpréter des statistiques de manière fallacieuse, affirmer une vérité sans aucune source et présenter une parfaite dissonance entre son discours et ses actions, voilà quelques unes des tactiques de désinformation scientifique qu’utilise l’industrie agroalimentaire sur le dos des abeilles. Le tout en récoltant des éloges pour la qualité de sa campagne de communication.

En effet, les médias qui ont couvert ces campagnes se sont empressés de reprendre les grandes lignes des communiqués émis, de souligner l’originalité d’un point de vue publicitaire et d’informer les citoyens de leur privilège de recevoir un sachet de semences. Encore aujourd’hui, malgré les preuves qui s’accumulent sur les méfaits des néonicotinoïdes, certains journalistes propagent le doute et reprennent les lignes de l’industrie en s’intéressant aux autres facteurs qui affectent les pollinisateurs. Leur esprit critique envers la science ne devrait-il pas être utilisé à l’endroit des efforts de marketing également ? On peut se questionner sur l’éthique de ce genre de pratique de propagande et sur celle des médias qui tombent dans le panneau. Une réflexion à poursuivre au jardin et devant son bol de céréales. 

Geneviève Rajotte Sauriol détient un baccalauréat en relations publiques et une maîtrise en environnement. Elle œuvre depuis cinq ans au sein d'organisations en développement durable et en économie sociale. Elle s'intéresse particulièrement à la communication environnementale éthique comme outil pour favoriser une citoyenneté active.



 

> Retour à la liste des nouvelles