La vulgarisation scientifique : entre science et design


La vulgarisation scientifique : entre science et design

Le lundi 22 juin 2015

Par Mathilde Hubert

Comment faire léviter un pont Champlain miniature? Qu’est-ce que le design quantique? Comment vulgariser la physique autrement? Autant de questions auxquelles répond de manière originale Julien Bobroff, professeur à la Chaire « La physique autrement », de l’Université Paris-Sud. 

C’est en 2011, à l’occasion des 100 ans de la découverte de la supraconductivité que chercheurs, créateurs, designers et artistes se sont réunis pour la première fois avec Julien Bobroff autour de la question de la lévitation supraconductrice. « À la sortie de cette année-là, j’ai découvert un territoire assez vierge de nouvelles façons de vulgariser la physique, explique-t-il, j’étais jusqu’alors expert en supraconductivité, un phénomène fascinant qui se manifeste près du zéro absolu, température à laquelle presque n’importe quel métal fait léviter les aimants et conduit le courant de manière parfaite ». 

Il délaisse pourtant ses expériences en physique pour se consacrer à « la recherche de nouveaux modes de diffusion de la recherche ». De ce virage naissent la Chaire « La physique autrement » et un étonnant site Internet, vulgarisation.fr, où l’on trouve tous ses projets aussi innovants que variés; un cirque quantique, une planche à roulettes en lévitation ou encore des bijoux quantiques créés par des étudiants en école de design. 

Un succès qui n’était pas évident se rappelle Julien Boboff : Tout l’enjeu a été de convaincre le Centre national de la recherche scientifique et l’Université d’accepter que dans un laboratoire de physique fondamentale, des chercheurs créent un groupe de recherche sur un domaine pas très clair comme la vulgarisation.

« Ensuite, je pensais qu’il allait aussi falloir convaincre les artistes de travailler avec nous que, quand on allait leur parler de physique, ils prendraient leurs jambes à leur cou, mais c’est tout le contraire, ils sont d’une incroyable curiosité! » s’exclame-t-il. Aujourd’hui, il n’y a plus que le temps qui le limite, et le travail s’accumule.

Après avoir pris contact avec des créateurs, les chercheurs peuvent passer de quatre à six mois à trouver les mots pour expliquer la physique ou comprendre des notions de design, de dessin. Chacun s’appropriera l’univers de l’autre pour mieux travailler ensemble. « On ne juge pas du design du designer ou de l’illustration du dessinateur, mais on essaie de les nourrir au maximum en informations scientifiques et de leur donner un retour naïf de notre perception de leur travail, raconte le physicien, et quand ça fonctionne bien, la fois suivante, tout devient incroyablement simple, on trouve les sujets ensemble, on sait exactement comment les autres pensent et travaillent. »

Mais le but de la Chaire « La physique autrement » n’est pas seulement d’innover en matière de vulgarisation scientifique, mais aussi de faire de la recherche sur ses activités pour que celles-ci soient utiles au plus grand nombre. Julien Bobroff a, par exemple, invité Camille Jutant, spécialiste en sciences de l’information et de la communication, à travailler avec lui et les designers pour réfléchir à différentes questions relatives à leurs projets : est-ce que les objets créés avec les designers sont différents d’un objet de design normal ou différents d’un objet de vulgarisation normale? Comment réagissent les designers? Camille Jutant a réalisé un vrai travail de recherche sur ces projets de vulgarisation, elle a interviewé les designers, composé des corpus, filmé les séances de travail et publié un article avec Julien Bobroff sur ce travail. « On s’est dit, explique le chercheur enthousiaste, que, si on arrivait à comprendre les réactions des designers face aux concepts de physique, ce seraient de nouvelles portes pour l’avenir de la vulgarisation qui s’ouvriraient. » Et les designers ont réellement bouleversé les modalités de la médiation scientifique et le rapport au public en allant à contresens des codes de vulgarisation habituels : pour parler de physique quantique, ils n’utilisent pas l’univers de la science-fiction, mais celui du quotidien, un monde infraordinaire; pour renouveler le rapport au public, ils introduisent de la poésie dans une conférence scientifique.

« Ainsi, conclut Julien Bobroff, projets de vulgarisation et recherche se nourrissent mutuellement et nous donnent sans cesse de nouvelles idées à développer. »

Spécialiste de la communication scientifique, Mathilde Hubert a été chargée de communication scientifique au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, puis chargée de mission sciences et universités au Consulat Général de France à Québec et, parallèlement, journaliste pigiste. Elle s’intéresse tout particulièrement aux enjeux de la communication scientifique, aux traitements médiatiques des sciences et à l’intégration des femmes dans les milieux scientifiques.

 

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