Rencontre avec Pierre Chastenay, lauréat du prix Thérèse-Patry 2020


Rencontre avec Pierre Chastenay, lauréat du prix Thérèse-Patry 2020

Le mercredi 26 août 2020

Faites connaissance avec les lauréates et le lauréat 2020 des prix de l’ACS !

Bien que leur profil et leur parcours soient complètement différents, ils.elles ont pour point commun d’avoir remporté un prix de l’ACS cette année. Nous les avons virtuellement rencontré.e.s pour en apprendre davantage sur leur intérêt pour la culture scientifique.

 

Pierre Chastenay, vous êtes astronome, médiateur scientifique, didacticien des sciences, vous avez travaillé à la télévision, à la radio, dans les médias écrits et électroniques, en édition ainsi qu’au Planétarium, vous êtes un vrai homme-orchestre... presque un orchestre symphonique à vous seul !  Si vous aviez un choix ou maximum deux à faire, déchirant certes, que choisiriez-vous parmi ces multiples disciplines ?

Difficile de faire un choix, tout m’intéresse, mais si j’avais à choisir, c’est sûr que je conserverais l’astronomie : cette science me fascine depuis que je suis tout petit et elle est à la base de tout ce que j’ai accompli dans ma vie professionnelle. L’autre aspect de ma carrière qui m’anime énormément est la didactique des sciences, la discipline qui réfléchit aux conditions de réussite de l’enseignement et de l’apprentissage des sciences, et dont la médiation scientifique est un versant primordial. Je me suis tourné vers la didactique à un moment de ma carrière de communicateur scientifique où je désirais mieux comprendre les phénomènes éducatifs auxquels nous sommes confrontés en tant que médiateurs; j’avais déjà une longue expérience dans le domaine, dans un musée de science et dans les médias, mais je voulais comprendre pourquoi certaines interventions donnaient de bons résultats et d’autres, moins. Mes études universitaires m’ont conduit à ma carrière académique actuelle, à l’UQAM, où je suis libre d’approfondir encore davantage ces questions, et je découvre énormément de liens entre la didactique des sciences et la médiation scientifique, qu’il s’agisse du travail éducatif muséal, de la communication scientifique, de l’éducation non formelle, etc. Il y a là tout un programme de recherche qui ne demande qu’à être développé !

Le prix Thérèse-Patry récompense une personnalité pour son apport à la culture scientifique et à la société québécoise. En quoi la culture scientifique rend-elle la société plus riche ?

Dans l’œil du public, la science est souvent vue comme un bloc monolithique de savoirs et de faits immuables, généralement exprimés dans un langage abscons (et même, ô horreur, avec des symboles mathématiques !) et que l’on doit apprendre par cœur si l’on veut réussir aux examens. Tout cela est très intimidant et a un effet de repoussoir évident. Or, rien ne saurait être plus éloigné de ma vision de la science, qui est d’abord et avant tout l’art de cultiver sa curiosité et de se poser des questions à propos du fonctionnement du monde naturel, puis à mettre en place une démarche d’investigation rigoureuse, basée sur la créativité, pour trouver des réponses à ses questions. Au quotidien, dans leurs laboratoires, les scientifiques ne font pas autre chose ! Les scientifiques savent aussi que ces réponses seront toujours temporaires, perfectibles, mais représentent les meilleures connaissances dont nous disposons ici et maintenant. Alors, connaître des faits scientifiques pour développer sa culture scientifique, c’est bien, mais savoir comment on fait de la science et être capable d’appliquer une démarche d’investigation similaire dans sa vie quotidienne lorsque nous sommes confrontés à des problèmes liés à la consommation, à notre santé, à des questions socialement vives et à des choix qui auront un impact majeur sur notre avenir personnel et collectif, c’est encore mieux et c’est là, je crois, le cœur de ce que devrait être une solide culture scientifique pour tous et chacun. Je ne sais pas si, après ça, il est encore nécessaire de démontrer en quoi la culture scientifique, vue comme une composante de la culture générale que chaque individu devrait posséder pour participer pleinement à la vie en société, rend la société plus riche. J’aurais l’impression d’enfoncer une porte ouverte…

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaitent entamer une carrière professionnelle dans la communication scientifique ?

Je viens de terminer la lecture d’un ouvrage qui m’a énormément intéressé et qui, je crois, propose une réflexion très pertinente pour répondre à cette question. Le titre de l’ouvrage est Range, de David Epstein (2019, New York: Riverhead Books) ; son auteur défend l’idée que ce sont les généralistes, et non les spécialistes, qui sont les mieux placés pour réussir dans un monde complexe… Les généralistes démontrent souvent une plus grande flexibilité intellectuelle, ont davantage la capacité à penser « en dehors de la boîte » et sont souvent plus créatifs dans la recherche de solutions à des problèmes complexes. C’est vrai également pour les équipes qui regroupent des personnes possédant des formations variées et ayant vécu des expériences personnelles et professionnelles diverses. Alors mon conseil à celles et ceux qui envisagent une carrière en communication scientifique est de cultiver une grande curiosité, de ne pas hésiter à sortir de leur zone de confort, de s’intéresser à des sujets variés et à suivre leur intuition, tout en faisant preuve de la plus grande rigueur. Dans ce domaine, votre bien le plus précieux est votre réputation et votre intégrité, alors les erreurs peuvent être coûteuses !

Si vous pouviez prendre une décision politique qui contribuerait au développement de la culture scientifique au Québec, quelle serait-elle ?

Je doterais chaque école primaire du Québec d’une classe-laboratoire parfaitement équipée pour y mener toutes sortes d’expériences scientifiques et de projets technologiques. Nos écoles sont dotées de classes de musique et d’art plastique, ce qui est très bien, mais pas de classe de science… Vous ne trouvez pas ça curieux ? Une des plaintes récurrentes que l’on entend de la part des enseignantes et des enseignants du primaire est la difficulté de mener des expériences scientifiques en classe quand on n’a pas accès à un évier, à de grandes tables de travail et à du rangement pour le matériel scientifique. Les classes-laboratoire que j’envisage répondraient en tout point à cette demande, tout en donnant accès aux élèves à du matériel de qualité pour faire de la science à l’école. Imaginez une école où les élèves ont accès à des microscopes, des télescopes, des kits de robotique, des vivariums… Je fais le pari que ces élèves, mieux formés à la démarche d’investigation scientifique, et dont la curiosité scientifique aurait été nourrie pendant leurs années d’étude au primaire, démontreraient une plus grande ouverture envers la science et une meilleure culture scientifique et technologique. En tout cas, c’est une hypothèse qui vaudrait la peine d’être testée !

Pierre Chastenay est le lauréat du prix Thérèse-Patry 2020, qui récompense les personnalités ayant apporté une contribution exceptionnelle à la culture scientifique du Québec. 

(Crédit photo : Émilie Tournevache)

 

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