Télé-Québec tourne le dos aux magazines scientifiques


Le jeudi 15 mars 2018

Lettre ouverte parue dans Le Devoir à l'initiative de l'ACS

Stéphanie Thibault, présidente de l’Association des communicateurs scientifiques du Québec
Le conseil d’administration de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS)
Marie Lambert-Chan, rédactrice en chef du magazine Québec Science
Félix Maltais, fondateur du Mouvement éducatif Les Débrouillards
Isabelle Vaillancourt, éditrice des Débrouillards, des Explorateurs et de Curium
Josée-Nadia Drouin, directrice générale de l'Agence Science-Presse
Sophie Malavoy, directrice du Cœur des sciences de l’UQAM
Hervé Fischer, président de Science pour tous
Jean-Marc Fleury, titulaire de la Chaire de journalisme scientifique Bell Globemedia, Université Laval

 

En septembre 2018, pour la première fois depuis 10 ans, aucun magazine scientifique ne sera présenté à l’antenne de Télé-Québec. En effet, la télévision d’État ne reconduit ni ne remplace l’émission Électrons libres. Cette décision nous semble à contre-courant des efforts du gouvernement du Québec pour encourager l’intérêt pour les sciences et va à l’encontre de la mission même de Télé-Québec.

Le mandat de Télé-Québec est d’offrir une « télédiffusion éducative et culturelle, […] de développer le goût du savoir, de favoriser l'acquisition de connaissances […] et de refléter […] la diversité de la société québécoise ». Les émissions de science devraient donc y occuper une place significative et toute naturelle. Le concept dégourdi et accessible des Électrons libres complétait ainsi la programmation de façon originale, aux côtés du jeu-questionnaire Génial!, qui cible un public plus jeune, avide d’apprendre par le divertissement.

Depuis 2016, Électrons libres, sous la houlette de Pierre Chastenay et de ses complices, Marianne Desautels-Marissal et Rabii Rammal, explore spécifiquement la science faite au Québec, d’une manière ludique et accessible tout en étant rigoureuse. L’émission souligne aussi les avancées scientifiques internationales et donne des réponses scientifiques aux questions du public. En cela, elle succède au Code Chastenay, le précédent rendez-vous hebdomadaire des mardis à 19 h (de 2008 à 2016), tout en misant sur une formule plus dynamique. Elle a su, en très peu de temps, séduire et fidéliser un public plus diversifié que sa prédécesseure, entre autres les familles et les jeunes adultes, très courtisés par la télévision.

Par ailleurs, apparu sur les ondes en 2009, le jeu-questionnaire Génial!, aux cotes d’écoute enviables a été transformé en quotidienne à l’automne 2017. Dès lors, le rendez-vous scientifique du mardi soir des 10 dernières années qu’étaient Électrons libres et le Code Chastenay avant eux, fut relégué au vendredi à 18 h 30, une case horaire ingrate mais surtout mal adaptée à l’écoute attentive que demande un magazine scientifique. Télé-Québec a procédé à ce changement sans tambour ni trompette et n’a pas fait la promotion de l’émission à la rentrée pour avertir son public de rester au rendez-vous. La suite des événements était prévisible : égarés dans la grille, Électrons libres a perdu contact avec ses téléspectateurs. En 2018, l’émission est retirée des ondes soudainement.

Nous estimons qu’un jeu questionnaire destiné au seul auditoire jeune, même bien ficelé comme Génial!, ne peut remplacer un magazine scientifique. Électrons libres est la seule émission de télévision québécoise conçue spécifiquement pour mettre en valeur les chercheurs et la recherche faite ici, avec une cinquantaine de projets vulgarisés chaque année. Alors que la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation 2017-2022 cite parmi ses objectifs principaux de « développer la capacité des citoyens et des institutions à appuyer leurs décisions sur des connaissances scientifiques » en passant entre autres par le « développement d’une culture scientifique dans la société », le télédiffuseur qu’elle finance se dégage de sa responsabilité en la matière.

Lors de leur forum annuel, les Fonds de recherche du Québec et le scientifique en chef du Québec ont largement insisté sur l’importance de voir les chercheurs dans la sphère publique, de les encourager à participer aux débats et à collaborer dans la diffusion de leur expertise de façon vulgarisée. Cette invitation lancée aux chercheurs est d’autant plus importante que le contexte dans lequel l’information circule est en profonde transformation : multiplication des plateformes, surabondance, et « fausses nouvelles ». Il est aujourd’hui impératif d’accroître les lieux d’échange entre les scientifiques et le public en facilitant le décryptage et l’analyse critique.

En ce moment, avec à peine une trentaine de journalistes scientifiques en poste dans les médias sur les quelque 2000 journalistes que compte le Québec, on se demande bien à qui parleront nos chercheurs, et quelle tribune leur sera accessible. Ils perdent aujourd’hui une tribune de grande qualité, qui leur permettait de faire connaître au public leurs travaux de recherche, très peu couverts par les grands médias.

Dans une société du savoir dans laquelle s’inscrit l’avenir du Québec, la direction de Télé-Québec doit se demander quel est rôle elle entend y jouer. Quelle place veut-elle donner à la culture scientifique et à la diffusion des connaissances, toutes deux essentielles à la compréhension de la société et à la vie démocratique ? Nous estimons quant à nous que, plus que jamais, le contenu scientifique devrait occuper une place de choix dans la programmation de la télévision publique.

 

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