La science à la limite de la fiction


La science à la limite de la fiction

Le mercredi 29 janvier 2014

Déformation de la réalité, manipulation des faits, mensonges patents. Jusqu’où les réalisateurs de documentaires sont-ils prêts à aller pour augmenter les cotes d’écoute ?

Par Brïte Pauchet

En décembre dernier, six experts en documentaires télévisuels se sont penchés sur cette épineuse question lors du World Congress of Science and Factual Producers. Deux camps s’affrontaient. D’un côté, Michael Cascio de National Geographic, David Glover de Channel 4 et Carsten Oblaender de Story House Group Media avouent arranger la réalité à leur manière. De l’autre, Phil Fairclough de NHNZ, Beth Hope de PBS et Charles Tisseyre de Radio-Canada s’efforcent d’offrir au public des documentaires rigoureusement exacts.

Mais où est le problème? La télévision nous inonde de fictions à saveur scientifique, de CSI à Breaking Bad en passant par Trauma. Des œuvres d’une grande qualité qui se présentent clairement comme de la fiction. Tout le contraire de certaines productions à grand déploiement de Discovery, tels MermaidsMegalodon ou Yukon Men.

Dans Mermaids, les téléspectateurs peuvent voir « des photos et des vidéos [amateurs] prises par des pêcheurs en eaux profondes », suggère le site web. Ce qui s’annonce comme un documentaire « décrit comment les sirènes ont pu évoluer à partir de l’arbre généalogique de l’homme et comment elles ont pu survivre jusqu’à aujourd’hui » [traduction de l’auteure]. Mermaids est donc un « documentaire », non sur le mythe, mais sur les sirènes elles-mêmes.

Les sirènes sont des créatures légendaires, sur lesquelles il est relativement facile d’entretenir des doutes. Que penser alors de Yukon Men, ce pseudodocumentaire sur la vie de trappeurs à Tanana, un village situé sur la rivière Yukon en Alaska? On y apprend que l’hiver, loups et carcajous n’hésitent pas à entrer dans le village à la recherche de chair fraîche, de préférence des enfants sans défense. Menacés, les chasseurs doivent éradiquer ces dangereux prédateurs avec, entre autres … un AR-15, un fusil d’assaut semi-automatique utilisé par le tireur de Sandy Hook. Sans trucage semble-t-il.

Illustration: Jorge Cham, PhD comics

« C’est présenter la nature avec une approche digne du 19e siècle, s’insurge Charles Tisseyre. On balaie la notion d’écosystème. On ignore complètement le rôle du prédateur dans le cycle de la vie. »

De tels « faucumentaires » induisent les spectateurs en erreur. « Or, insiste l’animateur de Découverte, notre public est intelligent, il veut apprendre. Notre rôle, c’est de diffuser la science. Sans la science, il n’y a ni technologie, ni médecine, ni exploration spatiale. Présenter ces fictions comme la réalité jette le discrédit sur la science. C’est particulièrement inquiétant dans un pays [les États-Unis] où certains états imposent l’enseignement, sur un pied d’égalité, du créationnisme et de la théorie de l’évolution. »

La principale raison pour laquelle certains producteurs optent pour le « faucumentaire » s’avère la recherche d’audience à coût réduit. « Si l’être humain aime les histoires, il est d’autant plus touché quand cette histoire est vraie, explique Charles Tisseyre. Le spectateur pardonnera ainsi plus facilement les défauts de scénario et les effets spéciaux douteux si l’intrigue est tirée d’un fait réel. » Tout le monde n’a pas le luxe, comme Alfonso Cuarón, de dépenser 100 millions de dollars pour un film, Gravity en l’occurrence.

Loin d’atteindre des coûts de production aussi pharaoniques, les émissions scientifiques canadiennes rejoignent toutes les semaines un public fervent. Pensons entre autres à Les années lumière, Quirks and Quarks, Découverte ou encore au Code Chastenay, à Génial!, à The Nature of Things, mais aussi à une production de Discovery Canada, Daily Planet.

Ces émissions présentent la science pour ce qu’elle est, et non pour ce qu’un scénariste en mal d’audience aimerait qu’elle soit.

 

 

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Brïte Pauchet est chargée de projets et coordonnatrice aux communications à l’Association des communicateurs scientifiques. Elle est également journaliste et rédactrice scientifique.

 

 

 

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